Pourquoi le Mot “lesbienne” Dérange Encore dans les Médias ?
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Malgré les avancées en matière de représentation LGBTQIA+, le mot “lesbienne” reste étrangement absent ou évité dans de nombreux médias. On lui préfère souvent des expressions plus vagues comme “communauté LGBTQ+”, “couple de femmes”, voire “homosexuelle” dans un usage flou. Pourquoi ce terme, pourtant descriptif, revendiqué et affirmé par de nombreuses femmes, demeure-t-il un tabou dans l’espace médiatique ? Cet article propose une plongée dans les raisons historiques, culturelles, linguistiques et sociales qui expliquent cette gêne autour du mot “lesbienne”.
I. Une histoire marquée par la marginalisation
1. L’origine du mot “lesbienne”
Le mot “lesbienne” provient de l’île grecque de Lesbos, où la poétesse Sappho, au VIIe siècle av. J.-C., écrivait des vers célébrant l’amour entre femmes. À l’origine associé à la culture et à la poésie, le terme a ensuite été stigmatisé par les sociétés patriarcales.
2. La pathologisation de l’homosexualité féminine
Au XIXe et XXe siècles, l’homosexualité a été considérée comme une maladie. Le lesbianisme était souvent perçu comme un dérèglement psychique, un manque, ou une perversion. Cette médicalisation a nourri la honte, l’effacement, et la censure du terme dans le discours public.
II. Une représentation biaisée dans les médias
1. Invisibilité médiatique des lesbiennes
Dans les films, les séries, ou les journaux, les figures lesbiennes sont sous-représentées. Quand elles apparaissent, elles sont souvent sexualisées, ridiculisées, ou éliminées (syndrome de la “lesbienne morte” dans les fictions). Cette invisibilité renforce l’idée que le lesbianisme serait “hors norme”.
2. Quand le mot “lesbienne” gêne plus que le mot “gay”
Curieusement, le mot “gay” est beaucoup plus répandu dans les médias. Il est utilisé aussi bien pour les hommes que parfois — à tort — pour désigner toutes les personnes LGBTQ+. À l’inverse, “lesbienne” reste chargé d’un malaise : trop politique, trop féministe, ou associé à une image sexualisée dans l’imaginaire collectif.
III. Une sexualisation constante par la culture mainstream
1. Le poids du regard masculin
La pornographie mainstream a fortement contribué à la représentation biaisée des lesbiennes, souvent dans une logique de fantasme hétérosexuel masculin. Le mot “lesbienne” y est associé à des contenus sexuels explicites, détachés de toute réalité affective ou identitaire.
2. Des conséquences dans la perception sociale
De nombreuses femmes lesbiennes témoignent du malaise ou du rejet qu’elles rencontrent lorsqu’elles se désignent comme telles. Le mot provoque des regards lubriques, des moqueries, ou un sentiment d’incompréhension. Cela pousse certaines à employer d’autres termes : “queer”, “LGBT”, ou “femme aimant les femmes”.
Lire aussi : notre analyse sur la représentation lesbienne au cinéma et dans les médias, complémentaire à cet article.
IV. Une autocensure dans les rédactions
1. Un vocabulaire dilué pour “ne pas choquer”
De nombreuses rédactions choisissent d’employer des termes plus “soft” comme “couple homosexuel”, “relation entre femmes”, ou “amour LGBT”. Cette dilution du vocabulaire découle souvent d’une peur de choquer ou de s’aliéner une partie du lectorat jugé “conservateur”.
2. Des lignes éditoriales encore frileuses
Même dans des médias dits progressistes, le mot “lesbienne” est utilisé avec parcimonie. Il fait souvent l’objet de débats internes, et peut être remplacé ou modifié par les correcteurs. Cette censure implicite trahit une gêne collective à nommer les réalités lesbiennes.
V. Un mot politique et subversif
1. Le lesbianisme comme résistance
Le mot “lesbienne” porte en lui une charge politique forte. Il évoque une autonomie vis-à-vis des hommes, une solidarité féminine, et une affirmation de soi face à l’hétéronormativité. Cette force subversive dérange : elle bouscule les normes, remet en question le patriarcat, et s’oppose à la domination masculine.
2. L'effacement dans l'ombre du sigle LGBTQIA+
Avec l’extension du sigle LGBTQIA+, les réalités spécifiques des lesbiennes tendent à se diluer. Bien que l’un des piliers du mouvement, les luttes lesbiennes sont souvent fondues dans des discours plus larges, invisibilisant leur spécificité.
VI. Témoignages : quand dire “je suis lesbienne” devient un acte militant
1. Témoignages de lesbiennes dans les médias
Certaines personnalités assument le mot “lesbienne” haut et fort : Alice Coffin, Marie Labory, Julie Gayet (soutien public), ou encore Camille Étiévant. Leur prise de parole est souvent qualifiée de radicale, simplement parce qu’elles utilisent un mot que la société refuse encore d'entendre sans malaise.
2. Dans la vie quotidienne : une prudence toujours de mise
Dans la rue, au travail, ou même entre amis, le mot “lesbienne” est rarement dit. Il est souvent remplacé par des euphémismes ou des termes flous. Beaucoup de femmes homosexuelles préfèrent rester vagues plutôt que de risquer une réaction déplacée.
VII. Les initiatives pour revendiquer le mot “lesbienne”
1. Médias et blogs engagés
Des plateformes comme La Rebelle Lesbienne, XY Média, Lesbiennes of Color, ou des blogs comme blog-lesbien.over.blog redonnent de la visibilité aux réalités lesbiennes, en réhabilitant le mot dans un contexte de fierté, de témoignage et de culture.
2. Littérature, séries et cinéma
Des œuvres comme Portrait de la jeune fille en feu, Ammonite, ou les romans de Monique Wittig et Jeanne Cordelier contribuent à normaliser et à revendiquer le mot “lesbienne” dans la culture. Les séries récentes comme The L Word: Generation Q ou Feel Good participent également à cette revalorisation.
VIII. Comment briser ce tabou ?
1. Utiliser le mot avec fierté
Le premier levier est simple : oser dire “lesbienne” sans honte, dans les médias, à l’école, dans les séries, les livres, les conversations. Le poids des mots influence la perception. Tant que ce terme reste tabou, les lesbiennes resteront invisibilisées.
2. Former les journalistes
Les écoles de journalisme, les rédactions et les médias doivent intégrer une réflexion sur les mots à employer. Il ne s’agit pas de censurer ou d’infantiliser, mais d’employer un vocabulaire juste, précis, respectueux des identités.
3. Créer et soutenir des espaces de parole lesbienne
Favoriser l’émergence de voix lesbiennes dans les podcasts, les blogs, les documentaires ou les tribunes permet de visibiliser une parole trop souvent effacée. En soutenant ces projets, le mot “lesbienne” s’ancre dans la normalité.
Conclusion
Le tabou autour du mot “lesbienne” dans les médias ne relève pas d’un simple oubli lexical. Il est le produit d’un long processus historique de marginalisation, sexualisation, et invisibilisation des femmes aimant les femmes. Pourtant, il est plus que jamais temps de revendiquer ce mot, de le prononcer, de l’écrire, et de le faire exister dans tous les espaces publics. Car nommer, c’est exister.
Consultez également notre sélection d’actualités lesbiennes pour rester informé·e sur les luttes, la culture et les événements à venir.
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